Arrêt du 13 septembre 2023, la Cour écarte l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congés payés par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et juge que ce salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période. Cass. soc., 13 sept. 2023, n° 22-17.340, n° 887 FP – B + R
[Contrairement au droit européen, le code du travail ne prend en compte, pour le calcul des congés payés, les périodes d’absence pour maladie non professionnelle].
Historique :
– 2013 : la chambre sociale de la Cour de cassation alertait les pouvoirs publics sur la nécessité d’une réforme de l’article L. 3141-3 du code du travail, non conforme à l’article 7 de la directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 et à l’article 31, § 2 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
A noter : sans intervention du législateur, le juge français ne peut pas, en application de la directive 2003/88/CE, écarter les effets d’une disposition nationale contraire dans un litige entre des particuliers, et donc entre un salarié et un employeur de droit privé. Cass. soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285, n° 466 FS – P + B
– 2018 : la CJUE a précisé que l’article 31, § 2 de la charte précitée est directement invocable par un salarié dans un litige qui l’oppose à son employeur de droit privé, et que le juge national doit alors laisser inappliquée la réglementation nationale non conforme (CJUE, grande ch., 6 nov. 2018, aff. C-569/16, Bauer).
En 2018, la cour de Cassation appelait à nouveau à une réforme. Elle précisait que la Direction générale du travail, compétente sur cette question, avait été sollicitée et n’avait pas donné de réponse (Rapport 2018, p. 98 et s.).
– 13 septembre 2023 : en l’absence de réaction du législateur, la cour de cassation fait évoluer spectaculairement sa jurisprudence afin de garantir l’effectivité des droits à congé garantis par le droit européen. Elle décide de laisser inappliquées les règles contraires au droit européen et de juger que désormais, le salarié peut acquérir des droits à congés payés pendant les périodes de suspension de son contrat de travail pour cause de maladie non professionnelle.
La solution semble s’applique dès maintenant aux litiges en cours : la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que la sécurité juridique ne pouvait pas faire obstacle à l’application d’une nouvelle jurisprudence. Cass. soc., 18 mai 2011, n° 09-72.959 ; Cass. soc., 10 avr. 2013, n° 12-16.225
Cette solution concerne l’ensemble des congés payés. La Cour de cassation précise que le principe de non-discrimination au regard de l’état de santé conduit à appliquer ce revirement aux 5 semaines légales de congés payés et aux congés conventionnels.
Conséquences du revirement :
- S’agissant de la période d’acquisition en cours : le revirement de jurisprudence conduit à tenir compte des absences pour maladie pour calculer le nombre de jours de congés payés en cours d’acquisition.
- S’agissant des périodes de référence antérieures : les entreprises doivent se poser la question d’une régularisation qui aboutirait à l’octroi de jours de congés payés acquis.
Exemple : un salarié en arrêt maladie simple pendant 1,5 ans aurait acquis 45 jours de congés payés sur cette période (18 mois × 2,5) qu’il devrait prendre, à l’issue de son arrêt, sans que puisse lui être opposée la clôture de la période de prise des congés applicable dans l’entreprise car il doit bénéficier d’un droit au report.